Chapitre 1

 

L’été était sur le point de commencer. Pour Jules Gaillard, voir arriver le flot de touristes venus de toute la France, ce n’était pas son truc. Il faut dire que c’était un sacré râleur ce Jules Gaillard.
Né au milieu des années 40, à Erquy précisément - lieu où il avait toujours vécu -, il était fils unique de parents ouvriers. Il découvrit très jeune, comme beaucoup d’autres jeunes garçons, sa passion, la pêche. La pêche, c’était toute sa vie. Pêche à pied, pêche en bateau en bord de mer ou en pleine mer, peu importe, du moment qu’il pouvait pêcher.
Cette passion dévorante l’emmena très jeune vers ce qui serait son métier : pêcheur sur un chalutier. Quand Jules était sur un bateau, plus rien d’autre n’avait d’importance. Plus rien sauf la belle jeune fille qu’il rencontra un jour sur le port, la belle Arganthaëlle. Cette jeune fille, qui vendait le poisson sur la criée chaque semaine, était la seule raison qui pouvait l’empêcher d’aller en mer.
Arganthaëlle, originaire d’Erquy elle aussi, était orpheline et avait été élevée par sa tante Janine. Elle admirait les pêcheurs qui partaient en mer, quel que soit la météo. Et admirait encore plus ce jeune brun élancé, d’une belle stature, qui lui apportait chaque semaine le poisson résultant de la pêche en mer. 
Les deux jeunes gens se côtoyèrent de nombreux mois, se marièrent en 1968 et s’installèrent naturellement à Erquy. S’ils vécurent gracieusement quelques temps sur les hauteurs de la ville, dans la maison de tante Janine, c’est grâce aux premières années de salaire de Jules qu’ils achetèrent une petite maison rue de la Fosse Eyrand dans le hameau La Moinerie. 
Jules était très souvent en mer tandis qu’Arganthaëlle, bien qu’elle continua de vendre du poisson de temps en temps à la criée, devint surtout mère au foyer. Le couple eut un seul enfant, Marine. Celle-ci, après une enfance heureuse passée à Erquy, quitta la région à l’âge de 20 ans pour suivre son futur mari, Nicolas, parisien de naissance rencontré un été. Les choses se gâtèrent entre elle et ses parents. Son père n’acceptant pas de la voir partir, avec, qui plus est, un Parisien, fit clairement comprendre qu’il s’y opposait. Ils se brouillèrent et, bien que Marine aimait sa région, elle n’y revint pas pendant plus de dix ans, ne revoyant donc pas ses parents durant tout ce temps. 
Les années passant, Marine reprit contact avec sa mère tout d’abord. Arganthaëlle ne s’était pas vraiment fâchée avec sa fille, mais elle avait dû subir le dialogue de sourds entre cette dernière et son mari. À force de tenter de renouer les liens père-fille, elle avait fini par réussir. Pour la première fois depuis si longtemps, ils allaient se revoir et essayer de recoller les morceaux, du moins si Jules en avait envie.
L’été 2002 commençait donc, mais ce ne serait pas un été comme les autres, car il annonçait des retrouvailles qui allaient le bouleverser à jamais.